Première nouvelle Lune d’été 2019 en chenille de Machaon et Ail des vignes

« Étrange : je crois au diable, mais pas au Bon Dieu. Vraiment pas ? Je ne sais pas. Si, je sais ! Je ne veux pas croire en lui! Non, je ne veux pas. C’est mon libre arbitre. Et la seule liberté qui me reste : le droit de croire ou de ne pas croire.
Mais officiellement bien sûr, faire comme si. Selon les circonstances : tantôt oui, tantôt non. » 

Jeunesse sans dieu est un roman écrit en exil en 1938 par Odon Von Horvath et qui fait allusion à une génération qui cède aux sirènes du nazisme. Pourtant ni l’époque ni le pays ni l’idéologie nazie ne sont nommés explicitement. Et c’est ce qui rend ce roman intemporel. La mécanique des changements de mentalités, l’automatisation des pensées et la mise en place d’une norme (la soumission de l’individu au groupe) dont on peut difficilement échapper ne sont pas propres au nazisme et peuvent s’appliquer au totalitarisme consenti de notre époque prônant une idéologie contraire, basée sur la totale jouissance et la liberté de l’individu (s’il a les moyens d’en payer le prix il va sans dire).

Que l’idole soit Hitler ou l’argent le fond reste le même. Le mal dont souffre l’époque mais qui est intrinsèque au Film des âges c’est le mal de l’âme.

Jeunesse sans dieu. J’avais repensé à ce roman en apprenant, il y a un an, le suicide par pendaison à un arbre d’un jeune bucheron de mon village que j’avais eu comme interne 3 ans durant.

J’ai pensé à ce roman à nouveau en apprenant les déboires des candidats au BAC de français qui avaient dû composer sur le thème de la poésie, à partir d’un corpus de quatre poèmes allant d’Alphonse de Lamartine, Anna de Noailles, Yves Bonnefoy à une œuvre d’Andrée Chedid intitulée Destination arbre.

Nombreux ayant pris cette destination pour sujet ont eu la surprise de découvrir à l’issue de l’épreuve que l’auteur était une femme. À la suite de cette méprise, la fièvre compulsive de certains lycéens s’empara des réseaux sociaux. L’un d’eux tweeta : « Ok donc c’est en sortant de l’épreuve que j’apprends que Andrée Chedid c’était une meuf. #BacFrancais2019 ». D’autres ont été jusqu’à lancer une pétition adressée au ministère de l’Education Nationale pour réclamer une indulgence dans la notation. La pétition a déjà recueilli plus de 27.000 signatures.

Préparer un bac et ne pas savoir qu’un prénom se terminant par « ée » est féminin témoigne du niveau actuel. A vouloir donner le bac au plus grand nombre fait que l’université en 2019 semble d’un niveau inférieur au plus médiocre lycée professionnel d’il y a 40 ans. Ce serait grave si au final tous ne nous faisions pas refourguer un faux savoir à l’image de celui quasiment contre nature enseigné dans les écoles d’agriculture. Et que dire de ces HEC et autres business school pleines de Mozart que l’on assassine.

Moi qui ai fait une scolarité minimum, ingurgitant sans conviction un savoir si morcelé qu’il rend incapable toute perception universaliste, il y a une sorte d’ironie à finir ma vie professionnelle dans le milieu éducatif en tant que surveillant d’internat. Car je ne crois pas en l’Education nationale autrement que pour apprendre à lire, écrire et compter. En dehors de ce socle commun, élémentaire, ce modèle éducatif s’avère incapable de dépasser un utilitarisme et ne sollicite qu’une intelligence de mémoire propre aux perroquets savants. Il ne peut rendre qu’insensible à la poésie, une matière traitée en langue morte en lieu et place du Grec et du latin. À moins de couver déjà soi-même un syndrome de l’albatros sans le savoir. Ce qui était mon cas.

Jamais je n’oublierai

l’impression foudroyante

de la poésie

vers 12, 13 ans,

en feuilletant par ennui

mon livre scolaire.

Comme si les deux balles

du Dormeur du val,

c’est moi qui les prenais.

***

Adolescent, affranchi de toute obligation scolaire, je découvrirai en écho chez Morrison que:

La liberté existe dans un livre d’école.

Restait à la cultiver sur les chemins buissonniers de ma vie d’adulte.

Rimbaud et Morrison, les deux grandes figures tutélaires qui accompagnèrent mes premiers pas en écriture furent, contrairement à moi, deux élèves surdoués. A quel prix ?

Le professeur de Rimbaud déclara : « Intelligent, autant que vous voudrez, mais il a des yeux et un sourire qui ne me plaisent pas. Il finira mal, en tout cas, rien de banal ne germera dans cette tête : ce sera le génie du bien ou du mal. »

Quant à Morrison, Jusqu’en 1962, il effectua ses années d’école secondaire en excellent élève, avec une moyenne très au-dessus de la moyenne nationale, son quotient intellectuel fut évalué à 149. Un ancien camarade de classe se souvient qu’il pouvait soutenir en cours les plus profondes réflexions avec ses professeurs. L’élève fut également traité d’égocentrique par l’un d’eux.

Rimbaud et Morrison : Leur précoce lucidité les exposait tous deux à l’incompréhension la plus totale malgré une apparence de succès pour le chanteur des doors.

La problématique pour eux était combien de temps tenir avec cette brûlante lucidité poétique qui les consumait de l’intérieur. On connait la suite…

Quant à moi :

À plusieurs, comme à moi seul,

horribles travailleurs,

arrivés sur le tard,

endormis sur le tas

de paroles daubées

à trancher l’artère de l’Agneau…

***

Quasiment tout ce que je sais pour les besoins de ma VRAIE vie de poètes-sauvages, jardiniers-cueilleurs, mes connaissances écologiques et autres éléments de culture ne doivent rien à ma scolarité qui ne m’a laissé qu’un sentiment d’ennui et de perte de temps. Mais ma vie de jardinier-cueilleur n’en demeure pas moins une école au quotidien, un lieu d’initiation et d’apprentissage; à commencer de l’écosystème dont je dépends, ceci à mon propre rythme, sans nécessité d’examens. Aussi bien pour le protéger d’une destruction savante que par refus de manger dans les mains empoisonneuses du système. Les deux totems de ma chronique, que ce soit la chenille du machaon sur sa plante hôte, la carotte (mais aussi persil et fenouil),

ou bien l’ail des vignes, en sont un parfait exemple.

Si on exerce un minimum d’esprit critique, (ce qui s’avère selon mes critères un vrai signe d’intelligence), on réalise que l’école républicaine n’est intéressée que par le renouvellement d’une élite bourgeoise consanguine qui impose son entre soi. Cette élite gavée d’un savoir prémâché méprise les autodidactes détenteurs d’une connaissance qui échappent à sa reconnaissance entre pairs. La France est un pays maillé par ses réseaux d’influence à tous les niveaux ; que ce soit économique et culturel.

Son roman national même n’est pas mon récit ; ma mythologie est métaphysique et englobe l’humanité toute entière, morts et vivants confondus, dans une utopie animiste de jardinier-cueilleur qui ne manquerait pas de me faire passer pour un fou si elle était défendue politiquement, autrement qu’en poésie, mojo en main.

Comme ce sera le cas samedi 21 septembre, dans le village voisin des Olmes, sur la nouvelle esplanade de la mairie à 16h, où les Poètes-sauvages donneront leur récital Poésies-colibris. Une manière de célébrer l’équinoxe d’automne.

Ce récital fera l’objet d’un tract-poétique spécial reprenant certains poèmes emblématiques.

tract récital recto tract récital verso

Quoiqu’il en soit, dans ma vie, le calendrier scolaire rythme désormais mon existence sans s’offrir pour autant en rituel.

« Cultiver son âme, se faire Voyant, le poète chargé de l’humanité, des animaux même… »,  je n’oublie pas que ces mots déterminants pour le Film de l’âme sont ceux d’un lycéen de 17 ans, de ceux dont j’ai la surveillance. Aussi, je continue de guetter à chaque rentrée, parmi un bétail d’élèves bruyants, qui sait, un Rimbaud caché rédigeant une Lettre dite du voyant,

véritable éloge à une intelligence d’intuition, et amorce d’un processus d’individuation propre au poète; ceci avant toute conceptualisation par Jung. Individuation qui m’apparaît comme le fondement à toute véritable éducation.

Mais, au travail, il me faut davantage garder un œil sur le nid qu’une Queue rousse s’obstine à faire chaque année sur le même rebord de fenêtre.

Je conserve le mauvais souvenir d’une pipistrelle éclatée avec une raquette de ping-pong par une meute de futurs bûcherons que j’avais réveillé le lendemain avec l’article de loi sur les espèces protégées et mon intention d’aller déposer plainte à la gendarmerie. Faire flipper jusqu’à la fin de la semaine cette jeunesse sans dieu m’offrit une maigre consolation.

Mais ce mal de l’âme dépasse de loin la jeunesse de mon internat pour laquelle le moindre insecte est à écraser.

Davantage qu’une jeunesse sans dieu, nous sommes une humanité sans sacralité poétique à l’égard d’une conscience créatrice. Il ne faut pas confondre un processus d’individuation propre à toute démarche spirituelle avec l’individualisme.

L’individuation consiste à découvrir son unicité dans un seul but d’interaction en empathie au service d’un grand Tout. Raison pour laquelle il ne faut pas la concevoir comme un simple concept philosophique intellectualisé. L’enseignement de l’ange des dialogues est pure individuation qui réclame des actes car mesurer le vide, dit-il, l’ennui.

L’acte d’individuation conduit au fond de son Soi, de son ego, jusqu’à son petit moi s’il le faut, pour en puiser l’essence universelle, à la différence de l’individualisme, un faux moi, promut par l’ultralibéralisme qui cloisonne son ego à tout ce qu’il est possible de posséder et de vampiriser en l’autre. Ce n’est pas un hasard si le personnage du Serial killer émerge sociologiquement avec l’ultralibéralisme. L’archétype psychologique de La monstrueuse ruée vers l’or est le pervers manipulateur narcissique. Ce profil toxique prospère professionnellement et politiquement.

Il n’existe pas d’idéal capitaliste, seulement des intérêts; des intérêts génocidaires. Ultime sursaut de révolte, vu le modèle coercitif de société que nous prépare Big brother, la révolution des gilets jaunes a révélé l’impossibilité du moindre échange et la nécessité d’une totale intransigeance avec cette incarnation du Mensonge. Un Mensonge qui ne doit sa légitimité qu’à nos petits pactes faustiens et autres dénis au quotidien. C’est le faux moi des populations qui fait pression sociale en bêtise collective. Et ce qu’on lui vend pour de l’intelligence n’est au final qu’un conditionnement au leurre d’une réussite sociale pour servir crédulement un vulgaire Veau d’or.

Sans moi. Je préfère célébrer un Créateur en essaimant l’intelligence collective d’une pensée sauvage avec une vidéo qui n’est pas de moi. Mon  »je » est d’un autre.

 

 

 

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