Seconde nouvelle Lune d’été 2019 en Levraut

Beau symbole de pulsion de vie que le totem de cette chronique avec ce levraut que ma compagne a retiré de la gueule de mon chien en juin. Ce dernier l’avait ramené de sa promenade sans lui occasionner le moindre mal.

Élevé au biberon durant trois semaines, il fallut ensuite le confier au Centre de soin pour animaux sauvages voisin de St Forgeux où aux dernières nouvelles (17 juillet) la créature poursuivait sa croissance. Le levraut devrait être relâché dans les environs du centre de soin où l’espèce n’est pas chassée.

Retour sur l’individuation, une notion empruntée à la psychologie analytique de Carl Gustav Jung (1875-1961) que ce dernier, vers la fin de sa vie, définissait ainsi :

« J’emploie l’expression d’individuation pour désigner le processus par lequel un être devient un individu psychologique, c’est-à-dire une unité autonome et indivisible, une totalité ».

J’ai su d’intuition l’œuvre de Jung importante car sans connaitre ses travaux avec le physicien Pauli sur la synchronicité, j’étais sensible à ce que je nomme Echoïncidence.

Idem pour la notion d’Archétype qui chez moi est primordial pour appréhender l’humanité.

D’ailleurs, Gitta Mallasz, la scribe des dialogues avec l’ange, en découvrant elle aussi les travaux de Jung, lui était reconnaissante de la délivrer d’une grande solitude. En effet, Jung racontait avoir rencontré son maître intérieur qu’il avait nommé Philemon et percevait comme un vieil homme avec des ailes immenses et tenant 4 clés dans les mains. Jung lui devait l’objectivité de sa pensée.

Pour Gitta Mallasz la tâche de l’Homme était de réaliser l’union consciente avec son ange, ce qui pourrait offrir une définition spirituelle de l’Individuation.

La découverte des dialogues avec l’ange dans la foulée de la naissance des poètes-sauvages m’a également délivré d’un sentiment de solitude en permettant à ma poésie d’assumer l’enseignement des Évangiles et la figure archétypale du Christ. Rien n’empêchera toutefois cette ode à l’individuation de continuer à être détourné à des fins de domination sectaire ; à l’image du protestantisme américain et des mouvements évangélistes qui voient la réussite dans les affaires comme l’indice de la grâce divine. Ces Évangiles découverts tardivement, hors de tout conditionnement religieux, en PURE POÉSIE, me permettent d’affirmer qu’INDIVIDUATION et FOI relèvent du même mystère. L’individuation engage dans la fameuse voie étroite des Évangiles, une métaphore reprise par l’ange des dialogues. . Les écrits de Charles délivrent également une authentique sagesse d’individuation actée par l’aide concrète qu’il apporte à ses compagnons d’infortune.

Il existe un état zéro qui tel un nord magnétique nous oriente sereinement et sans risque d’égarement sur un chemin d’individuation : Il s’agit du pardon des offenses ; pardon qui inclut le pardon à soi-même. Si l’on ne tombe pas dans le piège narcissique que nous tend l’Adversaire, l’autre en enfer, et que l’on ne se consume pas de ressentiment à son égard, alors l’adversité qu’il génère est porteuse d’une information. Facile à envisager à tête reposée. D’un couloir de la mort, l’expression de ce ressenti à une toute autre valeur.

L’individuation transcende le « Connais-toi toi-même » du projet philosophique des origines, simplement borné par la raison ; surtout quand celle-ci se veut cartésienne et prête le flanc en animal-machine.

L’individuation n’a rien à voir, non plus, avec cette mode du coaching en développement personnel privé ou entreprenarial favorisant l’individualisme.

Le propre d’un processus d’individuation est d’être unique et universel en même temps. Unique, tel un adn psychique, il oblige toutefois à intégrer l’autre dans toute son altérité car au final toutes les individuations se fondent en UN. C’est ainsi que je lis chaque rencontre qu’il m’est donné de faire, lorsque celle-ci ne répond pas à un besoin compulsif de consommation de relationnel. Si chaque rencontre répond à un sincère état d‘attention, alors chacune est porteuse d’informations pour l’autre ; même celles en apparences négatives. En ce sens mon information pour l’autre est d’être une indication sur la notion d’individuation par le logos poétique. Voilà l’information principale dont je suis porteur pour autrui en « Ami farouche ». A prendre tel quel ou à laisser.

J’essentialise d’ailleurs ce blog Maquis culturel du mont popey, tout comme l’intégralité de mon chemin d’écriture et ma personne à cette unique information. Libre ou non de la traiter de la sorte pour son propre cheminement intérieur, cela va sans dire. La poésie est soumise au charme orphique. Elle s’offre comme un parfum de fleur, soi-dit en passant, et n’a rien de prosélyte.

Je dois à Orphée, l’ange de ma poésie, l’objectivité de ma pensée. J’ai découvert au final que ce que j’ai toujours recherché dans la poésie était d’instinct ce qui m’aidait à progresser sur une voie d’individuation.

D’où ma fascination adolescent pour les Lettres dites du voyant écrites par un autre ado, au 19e siècle. Porteuses d’une intelligence d’intuition que l’éducation nationale n’avait pas annihilée en moi, elles agirent comme le révélateur de mon propre archétype. POÈTE !

Les informations qu’elles contenaient servirent d’amorce à un jeu de pistes existentiel me menant à reprendre plus tard le flambeau mal éteint à la mission spirituelle du romantisme.

J’en ai eu confirmation encore dernièrement en me voyant offrir un exemplaire d’une édition ancienne d’Alfred de Vigny (1797-1863)

Sur la forme, De Vigny n’a pas la veine, le souffle, le lyrisme ni la profondeur métaphorique d’un Hugo, certes, mais la Mort du loup et ce que la poésie française a créé de plus puissant.

Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.

Ce poème à lui seul résume la philosophie de son auteur, la résignation stoïque qu’il convient d’opposer à l’impassibilité de la Nature et le silence de la divinité à nos malheurs. L’œuvre pessimiste d’Alfred de Vigny témoigne d’une vision désenchantée. Il développe à plusieurs reprises dans un ton amer et désabusé, l’idée que la société transforme le poète en paria. Pour ma part, je ne trouve pas caricatural son sentiment que le poète est un être à part, un génie malheureux, inadapté au quotidien, que le monde trivial fait souffrir, qui vit dans une profonde solitude. Écrasé par les matérialités de la vie, il est contraint, s’il veut subsister, d’accepter des fonctions utilitaires qui le détournent de sa mission.

Son constat préfigure l’image du poète maudit développée par Verlaine.

Une malédiction que j’ai renversée en état de bénédiction, (Archive du 21 août 2017), dès lors que l’on en perçoit justement l’enjeu d’individuation.

C’est dans Le Mont des Oliviers, poème où de Vigny épouse la figure de Jésus, que j’ai eu la surprise de lire ces vers :

Si j’ai coupé les temps en deux parts, l’une esclave

Et l’autre libre. – Au nom du passé que je lave…

Je n’ai pu m’empêcher de penser à mon intuition d’un Film des âges et Film de l’âme.

L’individuation restera le thème de prochaines chroniques estivales pour se prévenir des dangers en chemin : la récupération sectaire du spirituel, l’orgueil et la folie.

La vidéo, Entre chien et loup, (9mn20) fait entendre le poème de Vigny La mort du loup. Elle est composée en partie avec les images d’une sortie familiale au parc animalier de Courzieu, en 2008 et celles de Skoll, ma chienne berger, au début des années 90.

Les derniers vers lus par Marie-José Chombart de Lauwe, résistante survivante de Ravensbrück témoignent de la puissance consolatrice de la poésie dans les moments tragiques de son existence.

La mort du loup symbolise également à mes yeux celle chez mes contemporains de l’idée que je me fais d’une certaine poésie sauvage et voyante. Cette idée a fait l’objet d’une affiche 2.0 exprimée sur le modèle de la sentence philosophique, sans le souffle lyrique d’Alfred de Vigny.

LA MORT DU LOUP

Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l’incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l’horizon.
Nous marchions sans parler, dans l’humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. — Ni le bois, ni la plaine
Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement
La girouette en deuil criait au firmament ;
Car le vent élevé bien au dessus des terres,
N’effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d’en-bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s’étaient mis en quête
A regardé le sable en s’y couchant ; Bientôt,
Lui que jamais ici on ne vit en défaut,
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçait la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions pas à pas en écartant les branches.
Trois s’arrêtent, et moi, cherchant ce qu’ils voyaient,
J’aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse ;
Mais les enfants du loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu’à deux pas, ne dormant qu’à demi,
Se couche dans ses murs l’homme, leur ennemi.
Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre
Qu’adorait les romains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
Le Loup vient et s’assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s’est jugé perdu, puisqu’il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n’a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu’au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu’à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;
Nos fusils l’entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

II
J’ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n’ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l’attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l’eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l’homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d’Hommes,
Que j’ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C’est vous qui le savez, sublimes animaux !
A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
– Ah ! je t’ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au coeur !
Il disait :  « Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.»

Entre chien et loup from mcmp2012 on Vimeo.

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